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Les avis de la communauté scientifique sur la datation de la grotte Chauvet

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         

                                                                                         

                                                                         

 Extrait de : Nouvelles recherches sur l’identité culturelle et stylistique de la grotte Chauvet et sur sa datation par la méthode du 14C. Jean Combier et Guy Jouve. Paru dans L’anthropologie 118 (2014).Pages 87-94.

 

Article de Combier - Jouve (résumé) « La découverte de la grotte Chauvet, à Vallon-Pont-d’Arc (Ardèche), en 1994, a marqué une date importante dans la connaissance de l’Art pariétal paléolithique dans son ensemble. Ses représentations peintes et gravées par leur nombre (425 unités graphiques) et leur excellente conservation offrent un thesaurus documentaire comparable à celui des plus grands sites connus, bien supérieur à ce qu’avait déjà donné le groupe des cavernes rhodaniennes (Ardèche et Gard). Mais précisément son étude, si on la replace dans son cadre naturel régional, culturel et thématique, ne permet pas d’y voir une entité isolée et d’une précocité surprenante. Elle est à reconsidérer et les affinités que nos recherches ont fait apparaître sont nettement en défaveur de l’âge très ancien qui lui a été attribué. Si l’on étend cet examen à l’ensemble du domaine franco-cantabrique, une évidence s’impose : la grotte Chauvet, si elle présente des caractères qui lui sont propres (comme chaque grotte ornée), se situe dans une phase évolutive de l’art pariétal très éloignée de ses formes d’origine (connues par l’art sur blocs et sur parois d’abris datés en stratigraphie de l’Aurignacien, en France et en Espagne cantabrique). Elle se place donc très normalement, pour la majorité de ses œuvres, dans le cadre des créations artistiques bien définies du Gravettien et du Solutréen. Cette phase du Paléolithique supérieur moyen (26 000-18 000 ans) coïncide d’ailleurs avec une occupation humaine locale particulièrement intense et diversifiée, inconnue auparavant et beaucoup moins dense ensuite, au Magdalénien. Une critique serrée du traitement des échantillons soumis à l’analyse AMS du radiocarbone, ne permet pas de retenir l’âge très ancien (36 000 ans cal BP) attribué par certains auteurs aux figures peintes et gravées de la grotte Chauvet. » 

 

Les avis des spécialistes (résumés ou extraits) 

 

Christian Züchner indique qu’il fut le témoin du revirement de Jean Clottes. C'était au Museum de Monrepos (Neuwied, Allemagne) au moment où ce dernier reçut les résultats du radiocarbone. « A cet instant, il rejeta ses précédentes datations, la grotte Chauvet est devenue une grotte sanctuaire de l'Aurignacien : je rencontrai mon ami et collègue Jean Clottes à Monrepos et j’ai essayé de parler avec lui des problèmes qui en résultent, mais sans succès. En conséquence, je décidai de publier mes principales objections dès que possible afin de motiver une discussion impartiale. J'ai continué à présenter mon argumentation critique dans les journaux et des conférences au cours des années suivantes. Seuls quelques collègues en Espagne, Angleterre et en France ont ajouté de nouveaux arguments convaincants contre le grand âge. Combier et Jouve donnent un compte rendu détaillé de ces efforts. Pendant ce temps, l'âge Aurignacien est devenu une sorte de dogme, qui est accepté partout dans le monde. Mon argumentation bien-fondée fut rejetée très durement par l'équipe de recherche au cours du colloque d'Aurignac en 2005. »

     Se fonder sur des critères stylistiques pour établir une chronologie n’est démenti par aucune grotte, sauf la grotte Chauvet si l’on croyait aux dates de l’équipe officielle. Pour lui comme pour Jean Combier, les peintures noires ont beaucoup de points de comparaison avec les œuvres de la grotte de Lascaux. Il ajoute qu’il existe des arguments forts montrant que l’art de la grotte s’est poursuivi jusqu’au Magdalénien, même si un nombre très restreint d’œuvres archaïques dans la première partie de la grotte pourraient dater de l’Aurignacien. Il conclue que beaucoup de travaux restent à faire pour comprendre la chronologie de la grotte.

 

Michel Lorblanchet signale tout d’abord que l’art aurignacien dans la région du Sud-Ouest n'a guère de rapport avec l'art de la grotte Chauvet. Il apprécie tout ce qui a été écrit sur le contexte ardéchois et rhodanien de Chauvet, l’absence locale d’Aurignacien. Il attendait particulièrement l’avis sur ce point de J. Combier spécialiste, notamment, de la préhistoire de cette région. La grande question pour les préhistoriens étant bien celle des datations ! Il est normal qu’elles soient discutées et critiquées.

    Il insiste sur la nécessité d’associer les analyses des pigments et leur datation au radiocarbone.   Il rappelle qu'en 1995, il écrivait  « les datations de pigments doivent être intégrées à une étude complète du site incluant celle des parois et de leur contexte. Elles doivent en particulier être systématiquement associées aux relevés des figurations et aux analyses physico-chimiques des pigments... prélever des échantillons au hasard n’a jamais constitué un embryon de méthode scientifique ». Durant toutes ses recherches, il a scrupuleusement et constamment associé l’analyse des pigments, les relevés et les datations. Il pense que la partie gravettienne de Chauvet a pu être sous-estimée par Combier-Jouve, mais la présence du Magdalénien ne lui semble pas établie. En conclusion il note qu'aucun schéma évolutif solide de l’art pariétal quaternaire ne peut pour l’instant s’élaborer tant que règne une incertitude sur la datation de cet ensemble pariétal hors du commun et que l’article de J. Combier et G. Jouve, comme ceux de P. Bahn, P. Pettit, C. Züchner, invite à un débat qui paraît aujourd’hui inévitable.

 

Michel Martin aborde la chronologie de la grotte Chauvet « uniquement par le biais de la stylistique et de la thématique figurée et abstraite qui, indépendamment du recours aux datations radiométriques, concourent largement à douter de l’âge aurignacien des œuvres de Chauvet », points qu’il développe dans son article. Il termine « En guise de courte conclusion à ces quelques réflexions, nous adhérons pleinement et depuis plusieurs années, en fait depuis notre visite de la grotte Chauvet en 2002, à la thèse soutenue par J. Combier et G. Jouve. En effet, depuis cette date et suite à la visite de nombreux grands sites et de grottes plus mineures, nous avons l’intime conviction, loin de toute querelle, que les œuvres de Chauvet s’étalent sur un long temps d’utilisation de ses parois. »

 

François  Djinjian s’interroge sur les raisons qui font que la grotte Chauvet est en permanence l’objet de polémiques et de scandales, qui concernent aussi bien les inventeurs, les propriétaires, les conservateurs et les chercheurs. « Il est clair que J. Clottes maîtrise mal les difficultés de l’art pariétal et de sa datation. Son obstination et celle de ses successeurs malgré les difficultés soulevées ici et là, trahit bien cette faiblesse, alors que la Science moderne peut résoudre la question sans polémique et en y intégrant tous les acteurs. Sans doute aussi le fait que les travaux scientifiques aient été confiés dans le cadre d’un Appel d’Offres public à un maître d’œuvre qui n’était autre que le maître d’Ouvrage et le donneur  d’ordres ! »

 

Rodrigo de Balbín Behrmann, se fondant sur l’examen des styles doute de l’unicité de la période de réalisation de cet ensemble pictural aux caractères variés. « Analysée comme une unité par les chercheurs de l’équipe, Chauvet aurait anéanti l’organisation stylistique d’André Leroi-Gourhan. Par contre, beaucoup de spécialistes se sont montrés très tôt sceptiques voire franchement contre cette hypothèse d’unicité du fait de l’absence de corrélations archéologiques et des problèmes posés par les âges 14C obtenus à partir des restes de charbon de bois pris dans les foyers. La proposition est intéressante et légitime mais, mise à part la forte conviction ‘ anti-style ‘, il faut avoir des preuves pour l’affirmer.»

   Sa conclusion est que, dans les conditions actuelles des travaux,  la grotte Chauvet « serait plus en accord avec des périodes plus récentes, avec des analyses de composition des échantillons, avec une analyse du matériel archéologique plus approfondie et avec une interprétation plus libre et indépendante des critères anti-stylistiques. »

 

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                               Photographies